9 janvier 2023
Rue inondée par l'Artolie
Didier Felts
Le Cerema Normandie-Centre a organisé le 25 novembre 2022 une conférence technique territoriale consacrée à la prévention des inondations dans les politiques d'aménagement. L'occasion de présenter les leviers d'action en termes d'aménagement du territoire ainsi que les retours d'expérience de deux structures en charge de la Gestion des Milieux Aquatiques et de la Prévention des Inondations (GEMAPI).

Cette conférence technique territoriale organisée par le Cerema Normandie-Centre avait pour objectif d'aborder la résilience aux inondations par les leviers de l'aménagement du territoire. L'adaptation du territoire, et la réduction de ses vulnérabilités passent par l’action sur l’urbanisation, sur l’artificialisation et l'imperméabilisation des sols, ainsi que par une gestion intégrée des cours d’eau et des milieux aquatiques, et la prévention contre les inondations.

La compétence GEMAPI (Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) porte sur les aspects opérationnels de la gestion de ces milieux. Les milieux aquatiques regroupent des mosaïques de milieux forgés par les dynamiques des écoulements d’eau. Ils sont au cœur du grand cycle de l’eau.

Il convient de rappeler que l’efficacité de l’exercice de la compétence GEMAPI reste dépendant du fonctionnement des milieux naturels lesquels ne connaissent pas les frontières administratives. Or l’aménagement du territoire et les activités humaines ont en effet une influence directe sur le fonctionnement et la morphologie de ces espaces.

Cette journée technique a permis d’aborder cette question du lien entre gestion des milieux aquatiques, prévention des inondations et aménagement du territoire à travers des interventions sur les méthodes et outils, parfois complexes, et des retours d’expérience de démarches locales.
 

 

Risque inondation et aménagement du territoire

Hélène Barrière, chef de groupe Risque inondation, surveillance des ouvrages et milieux à l'agence de Blois du Cerema Normandie-Centre a d'abord présenté les concepts de risque, de vulnérabilités et résilience ainsi que ce que recouvre la stratégie nationale de prévention des inondations et les priorités de l'Etat. Les outils déclinés pour la mise en œuvre de la directive inondation dont l'objectif premier est de réduire les conséquences négatives des inondations sur les enjeux (santé humaine – patrimoine naturel – patrimoine culturel – activités économiques), ont été explicitées : Stratégie nationale de gestion des risques d'inondation, Plan de gestion des risques d'inondation, stratégies locales, PAPI et l'ensemble de ses composantes, dont l'aménagement est un élément-clé.

Ces différents outils permettent de poser un cadre à l'aménagement du territoire pour réduire le risque d'inondation et les impacts. En effet, en matière de résilience il est nécessaire d'agir à différentes échelles du territoire. Les orientations des documents de planification à l’échelle d’un bassin hydrographique, SDAGE et PGRI ont été présentées, notamment les aspects liés à la gestion de l'eau et des milieux humides pour mieux respecter le grand cycle de l'eau. Enfin, à l'échelon local, les stratégies de réduction de la vulnérabilité doivent être transcrites dans les documents d'urbanisme (SCoT, PLU) et déclinées dans les projets.

Tous ces documents doivent s'articuler pour permettre de développer une approche systémique et définir des actions cohérentes, via la compétence GEMAPI, en mettant l’eau au centre du développement durable et résilient du territoire.

4 grands principes de gestion intégrée des milieux aquatiques et de prévention des inondations sont à décliner à différentes échelles :

  • ruissellement important dans une rue d'Angouleme ( 2 à 5 cm d'eau sur la chaussée)Préserver les champs d'expansion des crues
  • Limiter l'implantation de nouveaux enjeux en zone inondable et l'imperméabilisation sols en développant les solutions fondées sur la nature :
    • Laisser plus de place à la rivière en prenant en compte les enjeux à proximité
    • Restaurer et renaturer nos milieux aquatiques
    • Développer les usages appropriés en zone inondable
  • Développer un urbanisme résilient en zone inondable (reconstruction de la ville sur elle même) pour aménager des terrains stratégiques pour la collectivité, tout en réduisant au maximum l'impact de la montée des eaux.
  • Limiter les conséquences du risque en travaillant sur les enjeux existants :
    • Adapter les logements selon le niveau d'exposition au risque
    • Développer la multifonctionnalité des espaces en milieu urbain avec le maintien de la fonction hydraulique

 

Mieux connaître le risque ruissellement

Quentin Strappazzon ingénieur hydraulique chez SEPIA Conseils, a ensuite présenté les enjeux liés au ruissellement des eaux, la manière de caractériser l'aléa et comment inscrire la problématique dans les stratégies d'aménagement du territoire.

Avec le développement urbain et l'imperméabilisation des sols, les territoires sont de plus en plus concernés par le ruissellement. Il s'agit d'un phénomène à dynamique rapide qui peut avoir un fort impact sur les territoires même s'ils ont des pentes faibles, et qui se trouve au croisement des politiques de gestion intégrée des eaux pluviales et de gestion du risque inondation.

Résultats de la modélisation 2D PPRi sur Toulon (prise en compte du mobilier urbain : bâtiments, murets, …)
Résultats de la modélisation 2D PPRi sur Toulon (prise en compte du mobilier urbain :
bâtiments, murets, …)

Pour comprendre le phénomène au niveau d'un territoire, trois échelles d'analyse sont possibles: 

  • L'échelle du sous bassin versant
  • L'échelle de l'axe de ruissellement (les emprises d'écoulement de l'eau).
  • L'échelle du quartier ou même de la parcelle qui permet une prise en compte du risque ruissellement dans l'aménagement

Les méthodes permettant de réaliser une cartographie de l'aléa ruissellement à l'échelle d'un territoire ont ensuite été présentées. Elles s'appuient sur les données historiques disponibles et ont pour objectif d'identifier les zones les plus sensibles en raison du risque et de la présence d'enjeux, avec différentes méthodes qui peuvent être utilisées de manière complémentaire:

  • l'analyse et le croisement de paramètres tels que l'occupation des sols, les pentes, la surface contributive, le linéaire des cours d'eau, la géologie, la topographie… par exemple,
  • une analyse topographique / morphologique basée sur les Modèles Numériques de Terrain qui permet de reproduire les axes d’écoulement, les cuvettes d’accumulation et l’emprise morphologique des zones inondables
  • la modélisation hydrologique / hydraulique 2D qui permet une cartographie plus fine de l’aléa ruissellement compte tenu d’un maillage fin de la zone d’étude

Quentin Strappazzon a ensuite abordé les outils et leviers d'action des collectivités pour intégrer le risque ruissellement dans les documents de planification. La réduction de la vulnérabilité du territoire au ruissellement passe par la définition d'une stratégie spécifique favorisant un travail collaboratif avec les services de l’urbanisme et une sensibilisation multi-cibles pour réfléchir à la gestion des eaux en amont de la conception des projets. Des exemples d'actions mises en œuvre dans l'EcoQuartier des Vaites à Besançon ont été présentés.

L'aspect sensibilisation des différents publics, notamment des acteurs-clés a été souligné, car cela implique un changement de culture et des pratiques à initier sur le long terme, d’une logique assainissement vers une logique risque.

 

les solutions fondées sur la nature pour prévenir les risques d'inondation

Nicolas Camphuis co-directeur du CEPRI (Centre Européen de Prévention du Risque Inondation) a présenté le retour d'expérience issu du projet Life ARTISAN : Accroitre la Résilience des Territoires en Incitant à l’usage de Solutions d’Adaptation fondées sur la Nature, dont l'objectif est de gérer durablement et de restaurer les écosystèmes naturels et répondre au défi de la préservation de la biodiversité.

 

schéma des solutions et des défis sociétaux
Source : CEPRI

 

Ces solutions variées ont été illustrées par une série d'exemples mis en oeuvre dans le cadre du projet ARTISAN, dans lesquels les services rendus par ces solutions peuvent concerner la prévention du risque inondation, la recharge de la nappe phréatique, la réduction de la pollution, la sensibilisation des habitants à la place de la nature notamment.

Ces solutions nécessitent aussi de décloisonner l'approche, de voir les bénéfices à plus long terme et dépasser les logiques financières classiques ainsi que les difficultés liées à la maîtrise foncière, et enfin de mobiliser les différents acteurs et de définir des systèmes d’évaluation convaincants.

Mettre en œuvre la GEMAPI: l'ACCOMPAGNEMENT DU CEREMA

Joël L’Her et Elisée Gbegnon du Cerema Risques, Eaux et Mer sont intervenus sur l'accompagnement des territoires dans la mise en œuvre de la compétence GEMAPI à travers notamment :

  • un appel à partenaires qui permet ensuite de capitaliser et diffuser les connaissances. L'objectif est de co-construire avec les acteurs du territoire des stratégies intégrée qui prennent en compte l'ensemble des composantes de la GEMAPI à partir d'un diagnostic territorial et d'une analyse multicritères.
  • trois offres de service
  • la production de guides et ressources techniques et pratiques, basés sur les retours d'expérience du Cerema et des territoires. Les connaissances issues de l'appel à partenaires GEMAPI déjà donné lieu à la parution d'un guide sur l'identification des systèmes d'endiguement, de fiches thématiques et d'outils géomatiques. 
  • l'organisation de webinaires et conférences techniques territoriales, la participation à des événements comme le Carrefour des Gestions Locales de l'Eau
  • des formations 
  • la co-construction d'une doctrine avec les acteurs locaux.

Le premier appel à projets GEMAPI était davantage axé sur la gouvernance et la connaissance du territoire. Les connaissances issues de cet appel à partenaires GEMAPI ont déjà permis la parution d'un guide sur l'identification des systèmes d'endiguement, de fiches thématiques et d'outils géomatiques.

Le 2e appel à partenaires GEMAPI lancé en octobre 2021 (15 syndicats de gestion et EPCI contracteront début 2023 avec le Cerema) vise à développer une approche de gestion qui intègre les 4 objectifs de la compétence GEMAPI et ceux de la gestion globale de l'eau en déployant notamment des solutions fondées sur la nature. Pour cela, cet appel à partenaires vise à favoriser la transversalité entre les compétences GEMAPI et les autres compétences des collectivités (gestion des eaux pluviales, aménagement, urbanisme, cadre de vie, développement économique, réseaux…).

 

La présentation :

Les digues et systèmes d'endiguement

L'Association France Digues qui réunit les collectivités gestionnaires d’ouvrages de protection contre les inondations a présenté ses actions telles que la publication de guides et ressources techniques, l'organisation de journées techniques et de formations, la diffusion d'outils

Des ressources pour les élus et les équipes techniques ont été réalisées par France Digues pour présenter les enjeux et obligations réglementaires dans le cadre de nouvelles responsabilités pour les communes, et les EPCI, liées à la mise en œuvre obligatoire de la compétence GEMAPI.

définitions zone protégée, niveau de protection, classement
Extrait de la présentation de France Digues


Concernant les systèmes d'endiguement il est important de comprendre leurs composantes, mais surtout les notions de zone protégée et de niveau de protection

schema avec un digue et la zone protégée, le niveau de protection et le système
Schéma France Digues

Les différentes missions des gestionnaires consistent à :

  • Définir les systèmes d'endiguement, en réalisant une étude de dangers destinées à définir la zone de protection et le niveau de protection et les demandes d’autorisations environnementales. 
  • Assurer leur surveillance et l'entretien, voire la conduite de travaux de rénovation ou la construction de nouveaux dispositifs.
  • Assurer la surveillance des ouvrages durant les crues et tempêtes.

Différents documents qui doivent être renouvelés tous les 3 à 6 ans doivent être réalisés. L'outil open source SIRS (Système d'Information à Référence Spatiale) qui facilite la réalisation des missions quotidiennes de surveillance, programmation et suivi de travaux, d'accomplissement des obligations réglementaires, puis d'exploiter et partager les données saisies, a été développé par France Digues.

Lors d'une inspection d'ouvrage, il permet de stocker des photos, d'avoir les informations sur sa structure et son environnement, d'archiver des documents, et offre une traçabilité sur la gestion des ouvrages.

 

Retours d'expériences

L’étude du devenir de la digue de Saint-Pierre du Vauvray

Cette intervention de Pauline Bachelet, Chargée de mission Gestion des Risques Inondation à la Communauté d’Agglomération Seine Eure et Jean-Paul Masset chargé d’études hydrauliques au Cerema portait sur une étude-clé pour la décision en matière de GEMAPI, afin d'étudier les hypothèses sur le devenir de la digue de Saint-Pierre du Vauvray dans l'Eure.

L'agglomération va se doter d'un PAPI complet pour 2024-2029 et 8 PPRI sont en cours d'élaboration ou à réviser, et un système d'endiguement est à l'étude. 

La question de la gestion des ouvrages de protection s'est toujours posée sur le territoire, avec des périodes où aucun gestionnaire n'en était responsable. Dans le cadre de la prise de compétence GEMAPI par la CASE, une étude a été confiée au Cerema en 2020 pour appuyer la décision sur la gestion future de la digue de Saint-Pierre-du-Vauvray. Celle-ci a été construite au XIXe siècle pour protéger les enjeux de la boucle de Poses vis-à-vis des inondations de la Seine et n’est pas référencée parmi les ouvrages de protection contre les inondations (base de données SIOUH - Système d’Information sur les Ouvrages Hydrauliques).

la digue (matérialisée en jaune) qui protège les communes du Vauvray
La digue (matérialisée en jaune) qui protège les communes du Vauvray

Le Cerema a réalisé une étude en deux phases:

  • Une première analyse de l'état de l'ouvrage et la caractérisation des différents enjeux a conduit à la réalisation de 5 scénarios :
    • construction d'une nouvelle digue,
    • reconstruction et confortement sur différents linéaires
    • neutralisation de l'ouvrage.
  • L’élaboration d’un modèle hydraulique pour étudier l’impact de chaque scénario (analyse coûts-bénéfices et analyse multicritères).

Le modèle a été construit à partir de 4 hypothèses hydrologiques (crues de différentes ampleurs) croisées avec les 5 scénarios pour cartographier les zones inondées. 

Le modèle hydraulique a permis de fournir les résultats suivants :

  • emprise de la zone inondée en termes de hauteurs et de vitesses
  • durée de submersion et temps ressuyage
  • évaluation des dégâts (utilisation des courbes de dommages du guide ministériel AMC/ACB - analyse coût-bénéfice, analyse multi-critères
  • efficacité hydraulique (charge subie par les ouvrages) et neutralisation du système (arasement de tronçons de digues rendant le système de protection transparent)

L’étude Analyse Coût Bénéfice permet de mesurer, sur la durée, l’écart entre les bénéfices
attendus (au regard des enjeux et des dommages potentiels) de la mesure et les coûts de sa mise en oeuvre. Celle-ci s'étend sur un périmètre couvrant le zone concernée par la protection et le territoire sous l'influence de l'ouvrage.

Les conclusions de l’étude ont conduit à écarter les scénarios de neutralisation compte tenu des enjeux humains et économiques présents dans la zone d’étude fortement soumis aux inondations pour des crues fréquentes à moyennes. Ce travail a montré l'intérêt d'une réhabilitation de l'ouvrage existant avec une rentabilité dès 3 à 5 ans conduisant à la réalisation d’une étude de dangers qui permettra de définir précisément le système d'endiguement adapté et son niveau de sécurité.

 

Interview de Jean-Yves Le Fur

Vice-président en charge du cycle de l'eau et de la préservation de la ressource à l'agglomération Seine-Eure

La présentation :

Mise en œuvre du PAPI des Vals d’Authion et de la Loire

Virginie Gaspari, Référente Antenne Angers à l'Etablissement Public Loire a présenté le retour d'expérience sur les actions de l’axe 7 du Programme d’Actions de Prévention des Inondations (PAPI) qui couvre un territoire élargi comprenant 10 systèmes d'endiguement sur 150 km qui présentent des niveaux de protection relativement faibles. Près de 95.000 personnes se trouvent dans la zone de protection.

L'axe 7 du PAPI prévoit des études préalables à la réalisation de travaux au stade avant-projet ou l'actualisation des diagnostics de digues suite aux désordres apparus en crue (REX 2021) jusqu’à la planification des travaux.

Grâce au PAPI d’intention, des études préalables aux travaux de certains ouvrages ont été menées pour les digues non domaniales incluant les ACB/AMC comme aide à la décision des scénarios de fiabilisation à retenir avec une prise en compte forte des enjeux environnementaux (inventaires faune et flore, réalisation de plans de gestion de la végétation, dialogue avec les associations...).

Un programme d’Aménagement d’Intérêt Commun (PAIC) pour la gestion des ouvrages de protection a été proposé par EP Loire aux 57 EPCI du territoire concerné. Il prévoit la réalisation d'études et de travaux de réhabilitation, la surveillance et l'entretien en temps normal comme en temps de crise, dans un objectif de cohérence hydraulique à l’échelle du bassin fluvial. Il représente une véritable feuille de route pour une communauté d’EPCI d’un même bassin et constitue un outil de gestion permettant un gain de visibilité, une mutualisation des moyens humains, techniques et financiers ainsi que l’optimisation des financements.

En parallèle des actions de l’axe 7, il est essentiel de faire émerger des solutions complémentaires à la protection telles que la culture du risque, la prévision et la gestion des crues, l’intégration du risque dans l’aménagement du territoire afin de répondre au mieux aux 3 objectifs de la stratégie nationale de prévention des inondations:

  • augmenter la sécurité des populations exposées,
  • stabiliser sur le court terme et réduire à moyen terme le coût des dommages
  • raccourcir fortement le délai de retour à la normale des territoires sinistrés.
schéma de gestion de la digue

 

La présentation: