31 août 2023
Site naturel en Bourgogne Franche Comté
Arnaud Bouissou - TERRA
Vanessa Rauel, Responsable d'études biodiversité et aménagement au Cerema, a répondu aux questions de Construction 21 sur les différentes "trames". Qu’elles soient "verte et bleue", "brune", "blanche" ou encore "turquoise", ces démarches visent à (re)créer du lien entre les espaces naturels existants et les êtres vivants qui les occupent. Explications.

logo construction 21Cette interview de Vanessa Rauel, responsable d'études biodiversité et aménagement au Cerema, a été réalisée par Amandine Martinet de Construction 21, à l'occasion des 13 e Assises de la biodiversité en juillet 2023.

 

Quel regard portez-vous sur la place qu’occupe la préservation de la biodiversité dans l’opinion publique aujourd’hui ?

Il y a encore quelques années, la biodiversité n’était pas une problématique largement prise en compte. C’est le dérèglement climatique – accompagné de ses phénomènes naturels extrêmes – qui à mon sens a provoqué une réelle prise de conscience. L’épidémie de covid a également donné un coup d’accélérateur. Nous réalisons que la nature joue un rôle important et peut nous rendre de nombreux services, au point d’être comme une assurance vie !

Ce constat est encore plus prégnant dans les milieux urbains. Nous avons beaucoup construit en laissant peu de place à la biodiversité, et ce particulièrement dans les grosses agglomérations. Il est donc nécessaire aujourd’hui de la préserver, la restaurer et la réintégrer. 

 

Quels sont les principaux leviers pour réintégrer la nature en ville ? 

désimperméabilisation des sols à Strasbourg par les habitants
Opération "Strasbourg ça pousse" de désimperméabilisation et végétalisation.

Actuellement, de nombreuses collectivités se fixent des objectifs de re-végétalisation. Je pense par exemple à Bordeaux Métropole et son programme Plantons 1 million d’arbres en 10 ans. C’est positif, mais il faut aussi songer à ne pas en détruire. Notre maître-mot au Cerema est avant tout de préserver au maximum l’existant (Séquence Eviter, Réduire, Compenser les impacts sur l’environnement) et de construire autour. 

D’autres actions peuvent être menées, telles que la désimperméabilisation de friches inoccupées, de délaissés de voiries ou de parkings, suivie d’une renaturation de ces espaces pour leur redonner des fonctions. Il est aussi possible d’intégrer la nature dans les bâtiments, partout où cela est possible et pertinent (en fonction des espèces présentes, des habitats et des contraintes techniques), avec des façades ou des toitures végétalisées qui apportent de la fraîcheur, des bénéfices paysagers mais aussi des milieux de vie pour certaines espèces (insectes, oiseaux, reptiles…) 

Enfin, l’essentiel, c’est ce que tous ces espaces de nature soient connectés les uns aux autres afin que les espèces puissent assurer leur cycle de vie. C’est le sujet des trames écologiques. 

 

Comment définissez-vous ces trames écologiques ?

Avant d’évoquer le concept de trames, parlons d’abord de continuités écologiques. Celles-ci sont constituées d’un maillage d’espaces naturels ou semi-naturels nécessaires au cycle de vie des espèces animales et végétales, c'est-à-dire l'alimentation, la reproduction, les déplacements. Les continuités écologiques terrestres se composent de réservoirs de biodiversité qui sont les zones les plus riches et favorables à la biodiversité, et de corridors écologiques qui sont les zones de déplacement. Les continuités aquatiques constituées des cours d’eau et milieux aquatiques/ humides permettent d’assurer la circulation des poissons et des sédiments.

À chaque espèce ses spécificités et exigences au sein d’un territoire : un cerf se déplacera plus favorablement dans une continuité boisée et des amphibiens dans une continuité de milieux humides avec présence de mares et de milieux forestiers ou ouverts selon l’espèce considérée.

schéma des continuités écologiques
Illustration de continuité écologique / sous-trame forestière 

 

La trame verte et bleue (TVB) est un réseau écologique formé de continuités écologiques terrestres et aquatiques identifiées au travers de démarches de planification ou de projet, à différentes échelles de territoire : SRADDET (schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire), documents d’urbanisme des collectivités territoriales : SCoT (schéma de cohérence territoriale), PLU (plan local d’urbanisme) … Elle constitue un outil d’aménagement durable qui permet de préserver et remettre en bon état les continuités écologiques.

Autrement dit, comment faire pour que l’aménagement du territoire, les habitats et les espèces puissent fonctionner ensemble ? 

 

Sur quelles trames le Cerema travaille-t-il ?

Nous travaillons sur plusieurs trames:

Trame verte et bleue : préserver les continuités écologiques terrestres et aquatiques

Au Cerema, nous étudions depuis assez longtemps sur les questions de trame verte et bleue (TVB), en identifiant les continuités écologiques et en proposant des actions pour les préserver et les restaurer, à différentes échelles : locale (Parc national des Pyrénées, Metz Métropole, communes (Libourne, Angoulême) régionale (SRCE – schéma régional de cohérence écologique /SRADDET), nationale (identification des obstacles avec les continuités écologiques nationales par exemple) et européenne (projets de recherche européens, Life).

Nous travaillons aussi beaucoup sur l’identification des obstacles avec les TVB, particulièrement les infrastructures de transport, et les actions de résorption (ouvrages pour la faune notamment).

 

Trame noire : préserver les continuités écologiques nocturnes et réduire la pollution lumineuse
Eclairage d'une centrale electrique en campagne avec gros halo lumineux
Halo de l'éclairage d'un site industriel en zone rurale - S. Busson Cerema

Le travail sur la trame noire a commencé il y a plusieurs années, sur différents territoires d’études (Amiens, Lille, Nice, Aix, Nantes…) Il existe un gros enjeu sur cette trame étant donné que beaucoup d’espèces animales vivent la nuit ou ont à minima une activité nocturne, à l’image des insectes pollinisateurs (environ 30 % des vertébrés et 60 % des invertébrés sont adaptés à la vie nocturne). 

Là encore, notre intervention commence par une phase de diagnostic pour ensuite aider les collectivités à intégrer des actions concrètes dans leur planification, leur document d’urbanisme ou leur Schéma directeur d'aménagement lumière. Il peut s’agir de recommandations sur des plages d’éclairage en ville, de préconisations d’extinction ou encore de conseils sur les caractéristiques de lampadaires à installer.

Il existe également le groupe d’experts AUBE (Aménagement, Urbanisme, Biodiversité et Eclairage), qui échange sur les bonnes pratiques et produit des documents sur ces sujets. 

 

Trame blanche : préserver les continuités écologiques "silencieuses"

On parle ici de la nécessité d’assurer des continuités écologiques "silencieuses" (c’est-à-dire, non perturbées par les pollutions sonores induites par l’homme). L’engagement du Cerema sur la trame blanche est plus récent. Il travaille actuellement sur le développent de méthodes d’identification des trames blanches et la proposition de solutions pour des collectivités en Haut-de-France et en Ile-de-France. La principale difficulté étant que les animaux n’entendent pas les mêmes sons que les êtres humains.

 

Trame brune : préserver les sols

Il s’agit là aussi d’une notion encore en émergence, sur laquelle nous commençons tout juste à nous pencher. Pour le moment, ce sont surtout des universités et l’INRAE qui travaillent dessus. Côté Cerema, nous approchons cette thématique de trame brune par le biais du projet MUSE – visant à intégrer la multifonctionnalité des sols dans les documents d'urbanisme – qui comprend un volet sur les vers de terre et donc une entrée axée biodiversité.

La méthode a été testée sur Nantes métropole, Châteauroux et Aix-Marseille métropole notamment.

Longtemps, cette trame n’a pas été prise en compte, mais elle est très importante, car les sols sont en fait les supports de tous les habitats des êtres vivants. 

 

Trame turquoise : au croisement des trames verte et bleue

Il s’agit d’un concept relativement à part, créé par l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, pour des enjeux spécifiques à son territoire. Il désigne l’espace fonctionnel nécessaire au développement de la biodiversité aquatique et humide. Cette trame est composée d’espaces naturels aquatiques, humides et secs ainsi que de formations végétales linéaires ou ponctuelles (haies, ripisylves, bosquets).

Le Cerema travaille sur ce sujet dans le cadre de la gestion routière du Département du Vaucluse.

 

Tout le travail n'est-il pas également de lier toutes ces trames entre elles ?

gestion des eaux pluviales en villeLa mission du Cerema est d’aider les collectivités, nous travaillons donc en priorité sur les pôles pour lesquels il y a des besoins. Sur le sujet des continuités écologiques, nous avons principalement des demandes concernant les TVB et les trames noires dans une moindre mesure, pour les intégrer dans les documents d’urbanisme.

En effet, les acteurs font maintenant un lien entre les thématiques : renaturation des villes pour répondre à la problématique du changement climatique (îlots de fraîcheur, captage du CO2…), réduction de l’éclairage pour les économies d’énergie… et trame verte et bleue. Les études sur les autres trames sont encore assez peu sollicitées

 

 

"Nous avons pris collectivement l’habitude de travailler en silo, alors que pour mener des politiques d’aménagement durable, il faut faire converger toutes les trames écologiques et les thématiques et croiser les enjeux".

 

Nous cherchons, dès que cela est possible à mener une démarche intégratrice et transversale, c’est-à-dire à prendre en compte plusieurs thématiques qui interagissent ensemble. 

Par exemple, sur certains projets de partenariat avec des collectivités, nous avons effectué un diagnostic à la fois sur les îlots de chaleur urbains, la désimperméabilisation, les arbres en ville via l’outil SESAME et les mobilités pour proposer des actions transversales. Le Cerema intervient donc de plus en plus comme un intégrateur qui essaie de faire converger toutes les thématiques de l’aménagement d’un territoire vers un but commun, avec des actions cohérentes pour une majorité de sujets. Tout est lié !

Quel autre conseil donneriez-vous pour aborder au mieux ces différentes trames ?

Dans les continuités écologiques, il existe plusieurs échelles. Nous pouvons travailler au niveau local, auprès d’une commune ou d’une intercommunalité (PLU et SCoT), mais il est important de dézoomer pour avoir une logique de déclinaison des différentes politiques et garder une cohérence avec les niveaux supérieurs (SRADDET, ONTVB - orientations nationales pour la TVB, continuités transfrontalières le cas échéant), car les continuités écologiques ne correspondent à aucune limite administrative…

Lorsque l’on met en place des actions, il est donc important de prendre en considération ces notions de multi échelle et de transversalité abordées précédemment. 

 

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