19 janvier 2024
Dispositif houlomoteur bord à quai d'Eco Wave Power
Dispositif houlomoteur bord à quai- Eco Wave Power
L’énergie houlomotrice bénéficie actuellement d’un regain d’intérêt, notamment pour les systèmes dit bord à quai, à proximité d’infrastructures littorales. Des projets sont notamment en réflexion en Bretagne. Techniques, rendement, coût... Tour d’horizon par le Cerema, à la suite d'une étude réalisée en 2022.

Cet article du Cerema a été initialement publié par notre partenaire TechniCités.

 

Développer l’exploitation des énergies renouvelables est une piste suivie par de nombreux pays pour restreindre leur dépendance aux énergies fossiles polluantes, souvent importées, et asseoir leur souveraineté énergétique. Même si la priorité est aujourd’hui donnée à l’installation d’imposants parcs éoliens en mer offshore, l’exploitation des énergies marines renouvelables (EMR) telles que les énergies marémotrice, houlomotrice et hydrolienne, peut contribuer à un mix énergétique tout en contrecarrant le caractère intermittent de ces énergies naturelles.

Le développement de systèmes houlomoteurs dédiés à convertir l’énergie des vagues en énergie électrique est ancien puisque le premier brevet connu fut déposé à Paris à la fin du XVIIIe siècle. Néanmoins, en dépit de nombreuses innovations et d’expérimentations de prototypes à la mer, la filière houlomotrice reste encore aujourd’hui dans une phase délicate marquée par l’échec de nombreux projets offshore et le désengagement de grands industriels.

Elle reste cependant encore active avec un regain d’intérêt pour des systèmes dits bord à quai privilégiant une exploitation à proximité des infrastructures littorales et portuaires. Dans ces environnements moins drastiques, bien que la ressource énergétique soit globalement plus faible qu’au large, elle est susceptible de bénéficier d’effets locaux tels que la réflexion des vagues sur les infrastructures ou un étalement directionnel des vagues réduit. S’ajoutent d’autres avantages tels que l’accessibilité ou la satisfaction de besoins spécifiques.

Nous proposons ici une rapide revue dédiée aux systèmes bord à quai et à des travaux de R&D actuellement mis en œuvre pour soutenir le développement de la filière houlomotrice.

 


Dispositifs houlomoteurs bord à quai

Les dispositifs houlomoteurs bord à quai convertissent l’énergie potentielle ou cinétique des vagues en énergie électrique le long des ouvrages maritimes. L’implantation de ces dispositifs répond à la volonté des ports de développer avantageusement un mix énergétique local composé principalement du solaire. La production électrique locale permet d’alimenter les navires à quai et ainsi de supprimer leurs moyens de production polluants.
D’autres débouchés existent également en milieu insulaire déconnecté du réseau électrique continental ou dans des espaces naturels protégés

Les dispositifs bord à quai présentent de nombreux avantages par rapport aux systèmes offshore. Bien que la ressource soit plus faible à la côte qu’au large (20 kW.m-1 au maximum contre 50 kW.m-1), la récupération de l’énergie bord à quai bénéficie ainsi de la réflexion des vagues sur l’infrastructure, voire d’un étalement directionnel réduit. Au-delà d’une accessibilité et d’une maintenance facilitées, les systèmes bord à quai peuvent également être positionnés assez facilement en situation de survie, voire retirés en période de tempête, pour limiter les risques d’endommagements. Les coûts d’entretien, de maintenance et surtout de raccordement au réseau, sont largement moindres bord à quai qu’offshore.

En termes de réalisation, ces dispositifs peuvent être implantés au sein d’ouvrages existants ou incorporés à des ouvrages neufs. Dans le cas d’un ouvrage neuf, le coût du dispositif houlomoteur est estimé comme marginal par rapport à un ouvrage classique qui ne récupère pas l’énergie.

Une connaissance affinée de la ressource énergétique est fondamentale au dimensionnement des dispositifs houlomoteurs qui doivent, d’une part, résister aux assauts des vagues et, d’autre part, atteindre une production électrique optimisée. Il faut cependant distinguer la ressource disponible telle qu’elle se présente en environnement marin de la ressource théoriquement exploitable par un dispositif houlomoteur donné. 

La ressource disponible est estimée par des simulations numériques intégrant les processus physiques de transformation des vagues au cours de leur propagation du large à la côte. Couplées à des simulations grande échelle, des simulations à petite échelle sont mises en œuvre dans le champ proche des infrastructures pour calculer les effets de la réflexion des vagues sur la ressource disponible (lire l’encadré ci-dessous).

La ressource théoriquement exploitable est, quant à elle, évaluée en couplant les prédictions des états de mer avec les matrices ou abaques de puissance des dispositifs houlomoteurs établies par les concepteurs
et les industriels. Il en ressort une estimation de la production électrique dépendant de la technologie considérée.

 

Éléments de base sur la physique des vagues en bord à quai

Hauteur de houle devant une digue verticale parfaitement réfléchissante (houle venant de gauche et de hauteur incidente unitaire).

Devant une digue, du fait de la réflexion des vagues incidentes, des ondes stationnaires sont générées avec la présence de nœuds (amplitude d’oscillation de la surface libre minimale) et de ventres (amplitude d’oscillation de la surface libre maximale). Devant la digue en particulier est situé un ventre. Les autres ventres sont situés à des distances multiples de la demi-longueur d’onde des vagues incidentes.

Le premier nœud est situé quant à lui à un quart d’onde de la digue. Les flotteurs oscillants récupérant essentiellement l’énergie potentielle de la houle associée au mouvement de la surface libre, il est essentiel de les placer sur les ventres et en particulier juste devant la digue. On peut montrer que la puissance récupérée devant une digue parfaitement réfléchissante est doublée par rapport à une configuration sans digue et que la longueur du flotteur est en même temps divisée par deux (augmentation des recettes et réduction des coûts). 

Les batteurs oscillants récupèrent, quant à eux, essentiellement l’énergie cinétique de la houle associée aux courants orbitaux. Ils doivent donc être placés sur les nœuds et en particulier au premier nœud situé à un quart d’onde de la digue. La puissance récupérée est, elle aussi, augmentée par rapport à une configuration sans digue. Compte tenu de leurs emplacements distincts, on peut imaginer associer flotteurs et batteurs sur un même site afin de récupérer à la fois l’énergie potentielle et l’énergie cinétique de la houle.

 

Variabilité temporelle, saisonnière à interannuelle

Les performances des dispositifs présentent cependant une variabilité temporelle, saisonnière à interannuelle, associée au climat de vagues. Un dispositif peut ainsi avoir de bonnes performances moyennes, mais être principalement adapté à des conditions énergétiques hivernales.

Au-delà du facteur de charge équivalant au temps de fonctionnement à pleine puissance du dispositif, différents indicateurs sont ainsi proposés pour approcher les variabilités de la production électrique aux échelles saisonnières et interannuelles (Guillou et al., 2020).

Il faut enfin rappeler que l’énergie des vagues évoluera avec le changement climatique. Bien que présentant de fortes incertitudes, les prédictions mettent en avant une tendance à une légère baisse en Atlantique et Manche. Le changement climatique va aussi entraîner une remontée du niveau de la mer avec un déferlement bathymétrique amoindri et des vagues plus fortes devant les ouvrages. Si on peut s’attendre à une légère baisse de l’énergie des vagues au large, celle-ci est en revanche susceptible d’augmenter au droit des infrastructures littorales (Sergent et al., 2014).

Bien qu’il existe une grande diversité de systèmes houlomoteurs, on peut classer la plupart d’entre eux en quatre familles principales, intégrant une version du système détachée de l’ouvrage, souvent flottante, et une version bord à quai (voir le tableau).

 
On trouve ainsi différents dispositifs :
  • Les batteurs oscillants récupérant l’énergie du mouvement de tangage d’un volet articulé ;
  • Les dispositifs de type bouées pilonnantes ou flotteurs fonctionnant en tangage et combinés à une digue à l’aide d’un bras articulé ou d’un
    système de glissement vertical ;
  • Les colonnes d’eau oscillantes, appelées en anglais Oscillating Water Columns ou OWC, exploitant le flux d’air engendré par les mouvements de la surface libre sous l’action des vagues à l’intérieur d’une cavité communiquant à sa base avec la masse d’eau ;
  • Les systèmes à franchissements capturant dans un réservoir les volumes d’eau de vagues lors du déferlement et du run-up sur le parement amont d’une digue présentant une plage inclinée.

La ressource houlomotrice en mer d'Iroise

Puissance moyenne des vagues disponible par mètre linéaire estimée par modélisation numérique sur une période de huit ans (2004-2011) en mer d’Iroise (d’après Guillou et al., 2015).

Située à la pointe Bretagne, la mer d’Iroise est l’environnement le plus exposé des côtes françaises Atlantiques avec des houles pouvant dépasser 10 mètres de hauteur significative au large. Il en résulte une puissance houlomotrice moyenne associée estimée à plus de 40 kW.m-1.

L’exposition est particulièrement marquée aux extrémités occidentales de l’île d’Ouessant et de la chaussée de Sein, ainsi que face à la presqu’île de Crozon. La ressource énergétique disponible en zone côtière présente cependant des niveaux inférieurs et une hétérogénéité spatiale accrue résultant d’une dissipation de l’énergie des vagues par frottement sur le fond, de changements de direction par réfraction et d'effets d’abris procurés par les îles et archipels présents au large.

Cette variabilité spatiale est conjuguée à une variabilité temporelle du climat des vagues particulièrement remarquable aux échelles saisonnières et interannuelles. Cette variabilité temporelle est exacerbée en période hivernale et contraste avec la période estivale dominée par des conditions d’accalmie et des différences lissées entre les années. 

Ces évolutions se conjuguent aux modulations induites, à l’échelle infrajournalière, par les courants de marée avec des variations de la hauteur significative susceptibles de dépasser, en certains endroits, 30 % entre les différentes phases du cycle de marée (Guillou, 2017).

 

Étude de cas : les ports bretons

Sollicité par la région Bretagne, le Cerema a tout récemment mené, en coopération avec France Énergies marines, une étude dédiée à l’adaptabilité de différentes technologies de récupération de l’énergie des vagues au niveau des ports bretons. Disposant d’une forte exposition aux vagues en provenance de l’Atlantique et d’un ensemble d’infrastructures au niveau de son littoral, la région Bretagne bénéficie ainsi de conditions environnementales propices au développement d’une nouvelle filière houlomotrice bord à quai (lire l’encadré ci-dessus).

Dans le cadre de cette étude, les performances de quatre concepts houlomoteurs incluant les flotteurs et batteurs bord à quai et détachés de l’ouvrage (section 3) ont été évaluées et analysées au niveau des vingt et un sites portuaires identifiés par la région Bretagne et s’étendant de la partie septentrionale du Finistère à l’extrémité orientale du Morbihan.

Une méthode analytique simplifiée a été utilisée pour propager jusqu’à la côte les états de mer du large issus de la base de données de rejeu d’états de mer sur la zone Manche-Golfe de Gascogne Homere (1994-2016) mise en place par Ifremer, et ainsi obtenir une première évaluation de l’exposition des différents ports sur une période de vingt-six ans. Les incertitudes potentielles associées à ces estimations ont été examinées plus en détail par le Cerema au niveau du site pilote du port de Roscoff-Bloscon (Finistère Nord) en confrontant les prédictions de modélisations numériques avancées à des mesures de vagues (Guillou et al., 2022).

Globalement, cette étude a permis de mettre en évidence les performances accrues des dispositifs situés à proximité immédiate des infrastructures par rapport à ceux plus éloignés.

La comparaison entre les différents sites a également souligné le plus fort potentiel des sites finistériens par rapport aux sites morbihannais. Des performances notables sont également obtenues sur les sites portuaires insulaires montrant l’intérêt potentiel d’exploiter des ressources locales au niveau de ces territoires déconnectés du réseau électrique continental. Ce premier classement doit naturellement être consolidé en généralisant à l’ensemble des sites l’approche avancée suivie sur le site pilote de Roscoff-Bloscon. |

 

Par le Groupe de recherche hydraulique pour l’aménagement du Cerema risques eau et mer : Philippe Sergent, chef de groupe ; Nicolas Guillou, directeur de projet, Georges